7 jours au Tibet

Nous continuons notre route qui nous menera désormais vers le Sud, tout la bas à la pointe de l'Inde, dans l'idée de suivre le soleil et de conserver des conditions climatiques adequates pour notre embarcation familiale. Avant cela, une barriere et de taille entre l'Asie froide et l'Asie chaude: l'Himalaya. Nous prenons, de nouveau en pleine nuit, le train qui mène de Golmud à Lhasa, c'est depuis 2007 le plus haut qui soit. Il est vide à souhait pour nous etendre aisément sur les banquettes "hard seat" pas si dures. Le bercement du train que nous sentons s'élever lentement ne livre que Martin aux bras de Morphée. Même si le train est pressurisé, Simon est un peu blafard et nous lui donnons un peu d'oxygene. Le soleil finit d'écourter la nuit mais la consolation est au rendez vous: il lève le rideau sur un spectable unique. Entre 4000 et 5100m d'altitude, nous avancons sur ce toit du monde, peuplé de troupeaux de Yacks, d'antilopes, d'oies sauvages, bordé de sommets atteignant parfois 7000m, lesquels nourissent lacs et rivieres. En gare de Lhasa, à 3600m, nous redescendons vite sur Terre. Des policiers nous conduisent à notre guide, qui engage sa responsabilité sur notre bonne conduite durant les 3 jours qui nous sont accordés ici!

Les Chinois, devenus riches pour certains, ont, en 10 ans largement supplanté les touristes européens, devenus moins désirables dans cette capitale sous tension : groupes de 4 personnes minimum, de meme nationalité, obtention d'un permis et escorte par un guide couteux, les peaux blanches à Lhasa se compterent sur quelques mains.

Si la ville est agréable à découvrir, c'est essentiellement du à la bonne humeur des tibétains ("La paix commence par un sourire", peut on lire souvent).

Rinchin est un parfait accompagnateur, bien que demeurant, surtout en public, relativement distant à notre égard. Son métier ne lui autorise pas de familiarité avec les étrangers, et il nous met en garde de prendre quelconque photo de policiers, de leurs postes ou de leur voiture (tant pis pour la collection photo de Martin et Simon). Tout écart et il est fiché, ce qui lui vaudrait une perte de travail assurée. La gorge des tibétains est entre les mains de fer d'un pouvoir central chinois sans pitié! Rinchin nous décrit avec précision les rouages de cet etouffement administratif : interdiction de quitter ce toit du monde à tout tibétain (passeport interdit), controle des déplacements par d'innombrables check point, fouille avant les khora (marches autour des lieux sacrés), restriction drastique du nombre de moines (trés craints car respectés des tibétains pour leur culture et leur eveil spirituel),et interdiction à ces derniers de penetrer l'enceinte des hauts lieux du bouddhisme. Au Tibet pas de photo du 14e Dalai Lama, ni de babioles à l'effigie "Free Tibet".

Ainsi au palais du Potala, au temple du Jockang ou même au monastère de Sera nous ne verrons que quelques moines assurant l'entretien et faisant bonne figure, quand avant 1959 (date de l'invasion chinoise), ils fourmillaient en ces lieux.

Ceux qui vivent sans revendications politiques, artisans ou paysans (les fonctionnaires sont le plus souvent chinois), se réfugient dans la religion et leurs préoccupations familiales quotidiennes. Ils courbent l'échine comme leur bétail, sans se poser de question sur le devenir de leur culture dénigrée, ou de leur territoire pillé de ses inestimables ressources.

Si au Xinjiang le pouvoir central peut avoir fort à faire avec les chapeaux verts ouighours à forte tete, les tibétains sont majoritairement, de religion bouddhiste, de nature à tendre l'autre joue. Passer au dela des bassesses chinoises améliorent leur "Kharma", confortent quelque part leur chemin vers l'élévation spirituelle.

Triste sort en perspective pour un peuple si riche de traditions, autrefois armé et respecté de tous.

Nous avons soif de lecture mais ne trouvons aucun livre en anglais sinon le lonely planet, rien de fortuit à cela. J'essaie de télécharger "7 ans au Tibet", ou "Kundun", films mythiques que Rinchin rève de voir, mais les sites de telechargemnts sont innaccessibles (tout comme facebook, youtube ou twitter), et il me met en garde de lui faire tel cadeau, je n'aurai même pas son email.

Nous souhaitions rencontrer des artisans du commerce équitable (il y en a ! , voir chapitre "artisans" du site), chose impossible avec Global Nomad car trop risqué pour l'agence qui emploie Rinchin. Nous aurions pu visiter quelques artisans à Lhasa en lien avec l'ONG Dropenling, mais des analyses à l'hopital en ont décidé autrement, et nous ont bien rassuré sur l'état de santé de Martin. Son caca, aussi long a venir que l'attente dans la file, a été passé au crible d'une machine ultramoderne qui nous a diagnostiqué un "No Problem" en chinois.

Si en théorie on peut rire de tout, pas de grands traits d'humour donc à faire sur notre passage ici. Nous profitons de ces quelques jours au Tibet, si rares, pour en découvrir quelques merveilles. Les monuments bouddhistes sont l'occasion de nous initier à l'histoire et aux préceptes de cette religion, au travers d'effigies de bouddhas, de tombeaux de lamas entierement faits d'or massifs et de pierres précieuses, de livres de mantras sacrés et de salles plusieurs fois millenaires que nous décrit Rinchin.

La route qui nous mène à la frontière népalaise, escorté de Rinchin et de Panchen, notre chauffeur, nous récompense de notre témérité à venir en ces lieux. Appelée route de l'amitié ( Friendship Highway), elle compte de magnifiques points de vues: lac Yamdrok, barrage de Gyantsé, 6 cols entre 4500 et 5300m passés comme une lettre à la poste francaise, dont un, tout près d'imposants glaciers et sommets à 7000m, qui nous laisse tete en arriere et bouche bée.

Rinchin, qui n'a que 45 ans mais a longuement pratiqué l'alpinisme, l'assure : ici le réchauffement climatique n'est pas une blague, les glaciers fondent à vu d'oeil (en effet), les rivieres ont moins d'eau à couler vers les grands fleuves d'Asie. Tous prennent de loin leur source en Himalaya et conditionnent de près la vie de milliards d'individus.

C'est aussi la pleine saison des moissons et nous tentons ardemment des clichés de haute voltige derriere les vitres de la voiture pour saisir quelques unes de ces belles scenes de campagne.L'orge, une des rares choses qui pousse en ces hautes vallées, procure la "tsampa" au travers de moulins à eau, farine base du pain mais aussi consommée crue ou en boulette avec du thé.

Le second jour de notre route, au petit matin les étoiles remplissent le ciel. Martin et Simon voient courrir l'une d'elles, c'est un satellite comme dans leur livre d'histoires. Rinchin affirme que nous sommes nés sous l'une d'elle car si les nuages ne se levent pas trop vite nous pourrions voir 5 des 14 sommets au monde qui dépassent 8000m. Nous passons ainsi un col à 5300m, descendons une dizaine de kms et ils sont la! Quelques nomades avec leurs troupeaux, il faut croire qu'en hauts lieux l'esprit s'élève, car quelles conditions ! mais chose encore moins banale, à peine coiffés de nuages, a moins de 70kms : Makalu, Choyu, Lotse, mais surtout Chomolungma "godess of the wind" déesse des vents, rien de moins que celui qui nous dépassent tous : l' Everest nous montre sa face Nord. Chouette émotion, que partage aussi Rinchin tant il est rare qu'ils ne soient pris par les nuages encore à cette période de l'année.

Chichabangma, autre 8000m plus à l'ouest de notre route était déja un peu dans le brouillard, Anapurna 1 et 2 ,legerement moins hauts mais rayonnants, se riaient bien de lui.

Quand remonterons nous si haut dans le ciel, sinon dans un avion? Linda et moi, face a cette chaine de l'Himalaya, courrons de joie pour sentir une fois encore ce souffle coupé si particulier aux efforts en hauteur.

C'est donc un peu à l'inverse d'une apnée que nous plongeons de 5000 à 1600 m vers le Népal.

Dans une vertigineuse vallée qui verdit et ruisselle plus on descend, nous prenons de grandes bouffées d'air humide, toujours pas d'odeurs en ce qui me concerne. Des cris d'oiseaux, des bananiers, des arbres à lianes, remplacent l'orge et la pierre en moins de 2h!

C'est au matin du 3e jour que nous rejoignons une fois de plus la frontiere à pied, quelques kms chargés à longer une ligne de camions Tata indien. Dernieres frayeurs pour Rinchin quand les militaires chinois vident nos sacs et parcourent nos livres en quete de photos ou mots pouvant trahir une sympathie envers son Dalai Lama. Nous avons été fidèles à ses souhaits, avons montré une curiosité qu'il a pu apprécier mais il est probable, avec regret en ce qui me concerne, que nous ne nous reverrons pas dans cette vie.

C'est sur ce pont de l'amitié, entre Chine et Népal, que la notre demeurera sans suite !